Il arriva qu’un jour, au bout de longues années, elle eut envie de revoir la lumière du soleil, de sentir sur ses pauvres joues ravagées par les rides l’haleine du vent tiède de cette fin d’été. Elle se fit apporter un panier, pour se donner une contenance, et annonça de sa faible voix qu’elle allait chercher des fraises des bois. Elle était, depuis la mort de son père, la maîtresse du château, et personne ne pipa mot, bien que l’étonnement fût grand pour tous ses gens.
Elle descendit, courbée, le grand escalier moussu, et prit le chemin de la forêt, enveloppée dans sa grande cape noire ; le panier à son bras formait une excroissance bizarre à son côté droit.
De son pas glissant de vieille, elle fit la demi-lieue qui la séparait de l’orée du bois. Comme elle marchait les yeux au sol, elle ne fut pas longue à découvrir ce qu’elle était venue chercher : un tapis de fruits rouges, en effet, couvrait le sol dans le sous-bois.
S’enfonçant, sans s’en apercevoir, de plus en plus profondément dans la forêt, elle cueillait, à petits mouvements saccadés, et le panier s’emplissait.
Tout à coup, un grand cliquetis se fit entendre à travers les broussailles. Surprise, elle se releva et tourna la tête, ses yeux de chouette écarquillés par la frayeur.
Devant elle se tenait une épave de chevalier, à pied. Des morceaux de son armure pendaient ; de sous son heaume à la visière baissée sortait une longue barbe gris sale qui dépassait sur sa poitrine.
Il resta quelques secondes immobile, puis il souleva, à grand-peine, sa visière, qui s’ouvrit avec un sinistre grincement.
- Ah, murmura-t-il. Tu croyais m’échapper, Dragon de malheur ! mais je sais maintenant toutes tes ruses. Tiens, prends, sorcière !
Et il lui passa son épée au travers du corps.
Puis, tenant à bout de bras l’épée sanglante aussi haut que le lui permettaient ses faibles forces, il reprit, heureux, le chemin du château où l’attendait sa Bien-Aimée.
Traces de Passages