La Demoiselle regardait le Chevalier, son futur époux, qui venait d’entrer dans la grande salle du château de son père.
- Où allez-vous ainsi, paré de votre plus belle armure, gentil Chevalier ?
- Je vais, Ma Dame, combattre le Dragon aux Cents Visages dans la forêt enchantée, comme il est de mon devoir de le faire.
- Mais, Gentil Chevalier, ne serait-il pas plus agréable de nous marier sans tarder, et de goûter ensemble de doux moments ? Après tout, ce Dragon terrible, tant qu’il reste au cœur de la forêt enchantée, n’est pas une menace pour les gens du château ! Je n’ai jamais entendu dire qu’il eût dévoré qui que ce soit !
- Certes, mais le devoir d’un chevalier est d’aller tuer le Dragon, pour prouver à sa Dame qu’il est Digne de son Amour.
- Mais, gentil Chevalier, si la Dame elle-même vous demande de ne pas le faire, parce qu’elle n’a nul besoin que vous lui prouviez votre bravoure, si la Dame, elle, a envie de vous avoir à ses côtés, tous les jours que Dieu fait, pour vous prodiguer son Amour, si elle vous admire déjà comme vous lui apparaissez aujourd’hui, l’armure en moins, bien entendu ?
- Non, Ma Dame, cela ne se peut pas. Laissez-moi, je vous prie, aller prouver que je mérite mon titre de Chevalier, pour l’Amour de vous.
La Demoiselle, baissant le nez sur son ouvrage de tapisserie au petit point, se résolut à ne pas insister davantage. Que faire ? Se lever, prendre dans ses bras ce tas de ferraille ? Il n’y fallait point songer.
Alors, elle s’avança vers lui et dit en le regardant droit dans les yeux – car, heureusement, il n’avait pas encore baissé la visière de son heaume :
- Soit, beau Chevalier, allez vaquer à vos occupations et me revenez vite. De grâce, soyez prudent dans vos entreprises, et protégez-vous des sortilèges de la forêt. Je prierai Dieu en vous attendant, afin qu’il vous assiste dans les moments périlleux.
Le Chevalier, s’élançant vers elle dans un cliquetis d’acier (car son père était alchimiste), lui prit la main et s’agenouilla.
- Je fais le serment, Ma Dame, de vous revenir couvert de gloire, ma fidèle épée que voici couverte du sang du Dragon.
La demoiselle, avec un battement de cœur, le regarda -ou plutôt l’écouta- se relever et se diriger vers la grande porte.
Lorsque les battants s’ouvrirent, laissant entrer à flots le soleil matinal, il se détourna un dernière fois pour la regarder, leva sa main gantée de fer en signe d’adieu, et, en descendant les marches du grand escalier de pierre, baissa la visière de son heaume empanaché. En bas l’attendait son destrier ; il l’enfourcha, avec l’aide de son écuyer.
La Demoiselle, debout sur le perron, regarda disparaître à l’horizon la bannière qui flottait dans la brise de ce jour de printemps.
(à suivre…)
Traces de Passages